Voici 4 groupes de photos, à la suite l'un de l'autre, typiques des productions du Québec, chacun précédé d'un court texte d'introduction: Terrines anciennes du Québec, Poterie des Dion, Poterie de Cap-Rouge et Poterie des Farrar.
Les terrines à bec verseur servaient à séparer la crème du lait. Leur forme est celle d'un cone renversé. Elles sont en terre cuites rouge grossières, souvent vernissées à l'intérieur seulement. Leur attribution à un potier spécifique ou même à une région particulière est toujours difficile! Il suffit de consulter le dossier de Marcel Moussette (1981) sur les terres cuites des latrines des Maisons Estèbe et Boisseau de Québec pour réaliser les embûches d'une attribution locale ou étrangère.
L'ouvrage de Gaumond et Martin (1978) sur les maîtres-potiers de Saint-Denis est très utile pour l'étude de ces vaisseaux et de leurs artisans. Il faut savoir que près de la moitié des artisans potiers québécois de 1655 à 1905, répertoriés par Jacques Langlois ( 1978) ont oeuvré à Saint-Denis ou y ont fait leur apprentissage. L'atelier de Charles Belleau dans la région de Chicoutimi a produit un nombre considérable de terrines à bec verseur, des tessons font l'objet du dossier 47 du Ministère des Affaires culturelles (1980). La difficulté d'attribution des terrines à une production locale spécifique ou d'importation est bien illustrée dans l'ouvrage de Moussette (dossier 51, MAC). L'inventaire de 1772 du marchand de Québec Louis Turgeon fait état de 7 douzaines de terrines, des douzaines de plats et 9 douzaines d'assiettes de terre! Le Courrier de St-Hyacinthe d'octobre 1940 rapporte les noms de 21 potiers actifs à Saint-Denis entre 1844 et 1847. Voir ici-bas ce texte du Dr. J. B. Richard.
Nous recommandons une lecture attentive de la thèse de doctorat d'Yves Monette, Les productions céramiques du Québec méridional, c. 1680-1890, publiée par BAR, Oxford, en 2006, sans doute l'avancée la plus prometteuse des dernières années, en ce domaine. Archéolab.quebec illustre par des photos couleur plusieurs terrines anciennes du Québec. Lydia Imreh-Rasonyi (1984) discute de céramique québecoise ancienne, notamment de quelques terrines. Le catalogue d'exposition de Jacques Blais (2009) sur la Poterie et Céramique du Québec en offre aussi plusieurs exemples.
Les attributions qui suivent sont sujettes à caution; elles pourront être plus précises et devenir des quasi-certitudes si des analyses chimiques sont faites pour comparaison avec la banque de données de Monette.
Les potiers Dion (1851-1918), dans leur manufacture familiale de l'Ancienne Lorette, fourniront une vaste panoplie d’objets utilitaires ou décoratifs en terre cuite rouge commune. À travers les écrits de M. Barbeau (1941, 42 et 48), de H. Lambart (1970) de E. Collard (1967, 1984), le mémoire de maîtrise bien étoffé de C. Godin (Un. Laval, 1981), l’étude de Imreh Rasonyi (1983), les catalogues de J. B. Dion et J.-P. Dion sur La Poterie des Dion (1984), et de J. Blais (La Poterie et la Céramique au Québec, 2009), on peut suivre leur histoire de famille sur trois générations et identifier leur prolifique production.
Sont assez caractéristiques de leur production les objets en terre cuite rouge, à glaçure au manganèse offrant des stries verticales brunes. Par ailleurs, on trouve régulièrement leurs plats aspergés d'oxyde de manganèse à l'intérieur et à glaçure au plomb parfois mouchetée de taches vert olive et rouge. On rencontre aussi chez les Dion des pièces à glaçure d'un brun foncé uni, aux motifs notamment empruntés de Cap-Rouge lors de la vente aux Dion de moules de cette usine.
Pot à tabac Dion complet dans un état de conservation exceptionnel. Terre cuite rouge, glaçure marbrée au manganèse avec stries verticales, de type Rockingham. Décor de danseurs, musiciens et dauphins c. 1875-1910. Hauteur 31 cm. .
Pichet des Dion, terre cuite rouge, glaçure marbrée au manganèse avec stries verticales, de type Rockingham. Décor floral embossé, d'un motif d'abord utilisé à Cap-Rouge, c. 1880. H. 24,5 cm
Vasque centrale d'une jardinière Dion, terre cuite rouge, glaçure marbrée au manganèse avec stries verticales, c. 1875-1910.
Assiette à tarte Dion au rebord perlé, glaçure usée à l'intérieur, avec des taches rouge, encerclées de vert olive en dessous. Terre cuite grisâtre et non rouge, carbonisation probable. William Eby à sa Poterie de Conestogo, Ontario, a connu des problèmes semblables, que Webster (The William Eby Pottery ROM, 1971, p. 26) attribue à une cuisson en réduction avec des accumulations de fumée dans le four. Cela produisait une terre cuisant gris-noir au lieu du rouge-orange attendu (Munsell R-YR 6/8). Diam. 21,5 cm,, h. 5 cm.
Le pichet de gauche au motif floral est de la Poterie des Dion. Par comparaison des pâtes et glaçures, le petit pichet au motif d'ancre semble bien avoir été produit par les Dion. Le motif d'ancre est devenu populaire en Amérique à partir de 1869 (brevet de Dellicker / East Trenton Porcelain Co.) et se retrouve sur des terres cuites fines jaunes et des faïences blanches au New Jersey et au Maryland. Les Dion sont parmi les rares potiers connus qui faisaient encore des terres cuites rouges dans les années 1870-1900.
On produit à la manufacture de Cap-Rouge, entre 1860 et 1876, des objets en terre cuite fine jaune, à glaçure transparente au plomb (Yellow Ware) ou à glaçure au manganèse (Rockingham Ware). Des fouilles archéologiques sur le site et son dépotoir nous en apprennent beaucoup sur les divers contenants et leur décoration. Il faut consulter les ouvrages de Michel Gaumond (1971), et d'Alain Côté et Carl Lavoie (1991) pour l'histoire et l'identification des pièces de cette usine. Le livre de compte de la Cap Rouge Pottery Co., 1873-1876 à la Société historique du Cap-Rouge, contient des informations utiles sur la production de cette période.
La biographie de Philip Pointon, par Jacqueline Beaudry Dion et Jean-Pierre Dion (2013), fait découvrir ce maître-potier qui va œuvrer à Cap-Rouge dès son ouverture, et de façon intermittente jusqu'en 1875. On y dévoile plusieurs faits nouveaux sur la fabrication des produits de l'usine et la composition des pâtes et glaçures tout en illustrant, dans une soixantaine de pages, des tessons du site en parallèle aux pièces complètes correspondantes. Voici une douzaine de pièces attribuées à Cap-Rouge sur la base des tessons recueilis sur le site.
Pichet au motif d'angelot, terre cuite fine jaune à glaçure Rockingham. La Poterie de Cap-Rouge a pu produire le pichet au motif d'angelot avant que les Dion n'achètent leur moule. Modèle en plâtre de l'angelot tiré d'un tesson de la Poterie des Dion.
Les cruches et jarres de grès des Farrar sont déjà décrites sous le volet Cruches et Jarres. Nous illustrons ici la production des Farrrar de type Rockingham, soit celle de Saint-Jean (c. 1860-1876) et celle d'Iberville (1876-1926). On sait que les Farrar ont produit pichets, crachoirs, vases et pots de fleurs, en terre cuite fine jaune, à glaçure Rockingham mais aussi des pièces en grès avec cette même glaçure. Voici quelques exemples de leur production
E. Collard dans sa seconde édition (1984, planche 137) de Nineteenth Century Pottery and Porcelain in Canada illustre un pichet en terre cuite fine jaune, à glaçure Rockingham décoré de feuilles d'acanthe, et grappes de raisins et marqué ST. JOHNS POTTERY. Elle ajoute que les Farrar ont présenté en 1863 des moules en plâtre de ces pièces. Les Farrrar continueront à produire ces pichets et crachoirs, peut-être jusqu'en 1926 (Voir le crachoir dans la liste de prix des Farrar de 1926, reproduite dans Webster, p. 159, Early Canadian Pottery).
Déjà en 1926, Spargo (Early American Pottery and China) illustrait deux pichets à ce motif, en les reliant tentativement à Burlington et à Fairfax, lieux de travail des Farrar. Par ailleurs, les Ballard, ayant acheté à Burlington la fabrique de leur oncle E. L. Farrar, moules compris, ont pu produire aussi des pièces à ce motif. On peut consulter notre article sur les potiers Moses et Ebenezer Farrar, leur lien de parenté et leurs activités ici et au Vermont, paru dans Céramag 2017, no 15,p. 7-19. Il devient donc difficile de dire si une pièce particulière des Farrar a été faite ici ou au Vermont, mais on sait que des crachoirs, pichets et pots à fleur à ce motif ont été fabriqués par eux à Saint-Jean et Iberville.
ichet attribué aux Farrar, terre cuite fine jaune à glaçure Rockingham, au motif de feuilles d'acanthe et grappes de raisins. Base octogonale et huit panneaux forment les côtés. Il est identique à celui illustré dans Collard (1984, planche 137)et marqué ST. JOHNS POTTERY. Vers 1863. Hauteur: 26 cm.
Pichet attribué aux Farrar, grès à glaçure Rockingham, au motif de feuilles d'acanthe et grappes de raisins.Motif et forme identiques au précédent, y compris la décoration à la base et au haut de la poignée. Possiblement fait après 1876 à Iberville alors que les Farrar se concentrent sur la production d'objets en grès. Hauteur21 cm.
Les Farrar ont fait des pots à fleur à suspendre, au même motif de feuilles d'acanthe que les crachoirs. Le Musée du Haut Richelieu en possède un. Mais voici une mention surprenante de pots à fleurs de la St. Johns Pottery des Farrar qui retiennent l'attention lors de l'exposition provinciale de 1875. Le pot à fleur a la forme d'un tronc d'arbre avec un certain nombre de grandes branches: les branches sont coupées à environ 6 pouces du tronc et forment plusieurs pots! Information tirée du journal Ottawa Daily Citizen du 25 septembre 1875. Le même journal du 20 novembre 1875 parle de 'fancy flower pots' envoyés à l'exposition internationale de Philadelphie par la St. Johns Stone Ware Factory de St-Jean. Ce sont vraisemblablement ces pots à fleurs qui font partie de l'envoi du Canada pour cet événement de 1876..