BÉATRICE RICKARDS DESIGNER chez Canadian Potteries Limited

JEAN-PIERRE DION                                                    version révisée le 25 avril 2021

BÉATRICE RICKARDS, LE MYSTÈRE ENFIN RÉSOLU.

Helen Lambart relève le nom de Mme Beatrice Rickards comme étant celle qui a créé de nouveaux modèles pour la Canadian Potteries Ltd de Saint-Jean, entre 1931 et 1933. Se basant sur des documents appartenant à M. et Mme R. E. Elliott de Saint-Jean, Lambart affirme que Mme Rickards est une artiste et potière amateure de Montréal qui tailla à la main des modèles de vases, bols, pots à fleurs et urnes, qui porteront la marque Vitrian de la Canadian Potteries Limited. Elle précise même qu'il s'agit de modèles '''pour  25 vases, potiches  et autres pièces avec divers motifs représentant tantôt une  libellule, tantôt des pommes sauvages, tantôt encore des coquelicots.''

R. E. Elliott est, en mars 1931, le gérant de l’usine qui fait visiter à trois groupes de 200 personnes les nouveaux locaux qui viennent d’être construits (The Gazette, 5 mars 1931). Il occupera ce poste de nombreuses années. Il sera aussi membre du conseil d’arbitrage dans le conflit de la grève de 1936 à la Canadian Potteries Ltd.

Outre ces quelques détails sur Mme Rickards,  la vie de cette dernière reste entourée de mystère. Depuis la publication de Lambart, plusieurs d’entre nous ont cherché, sans succès, des informations additionnelles sur cette mystérieuse artiste et potière de Montréal.

Nos recherches récentes dans les journaux de Vancouver, Calgary et Montréal nous révèlent enfin l’existence d’une première Beatrice Rickards à Montréal durant la période visée. Il s’agit de Laura Beatrice Rickards, dite Trixie Rickards, de Vancouver et auparavant de Calgary, qui épouse Frank Norman Harling de Montréal, le 27 novembre 1926. Ce dernier est un fils du riche homme d’affaire montréalais Thomas Harling, agent de voyage pour l’Atlantique Nord (Steamship Agent)... Les journaux de Vancouver et de Calgary vont suivre les activités sociales de cette femme originaire de l’ouest canadien et qui vivra à Montréal de 1926 à 1981, année de son décès...Cette piste nous mènera à sa mère, Béatrice Rickards, qui est l'artiste derrière les modèles de Saint-Jean. Suivons ensemble cette piste.

Laura Béatrice Rickards épouse F. Norman Harling à Vancouver en 1926.  Mariage double, sa soeur Constance se marie en même temps. Photo de The  Province, 14 nov. 1926.

Laura Béatrice Rickards épouse F. Norman Harling à Vancouver en 1926. Mariage double, sa soeur Constance se marie en même temps. Photo de The Province, 14 nov. 1926.

Dès leur retour à Montréal en décembre 1926, le couple Harling s’installe aux Appartements Warwick, rue Clarke (Vancouver Sun, 14 décembre 1926). Le 4 septembre 1927, Mme Norman Harling (Trixie Rickards) a un fils (Calgary Herald, 9 septembre 1927). Avec leur jeune fils Peter, les Harling passent l’hiver 1929 à Vancouver; la sœur de Laura Beatrice tient une réception en l’honneur de Mlle Esme Crane, Laura Beatrice y côtoie d’autres membres de la famille Crane de Vancouver, Mlle Grace Crane ainsi que Mme Crane (Vancouver Sun, 26 mars 1929, Calgary Herald, 23 avril 1929).

En mai 1930, une fille, Pamela,  nait chez les Harling (Calgary Herald, 31 mai 1930). Ils habitent alors au 4070 de l’avenue Grey, Montréal, selon le Lovell’s directory de 1930 qui précise que F. N. Harling est un ingénieur civil. En 1932, Mme Rickards Harling séjourne 6 mois à Vancouver, en compagnie de ses deux enfants. En 1939, les deux sœurs Rickards passent une dizaine de jours ensemble au Club Hermitage, ce club huppé de Magog (The Gazette, 10 août 1939).

Laura Beatrice Rickards Harling décède le 3 septembre 1981 à Sainte-Agathe des Monts, son mari Norman Harling décède le 21 février 1993 à Rawdon, âgé de 93 ans (The Gazette, 5 septembre 1981 et 23 février 1993).

Annonce du décès de Béatrice (Trixie)  Rickards parue dans The Gazette, 5 septembre 1981

Annonce du décès de Béatrice (Trixie) Rickards parue dans The Gazette, 5 septembre 1981

Ses enfants s’étaient établis à Beaconsfield où on trouve encore des Harling. Nous avons suivi cette piste dans l’espoir de trouver des papiers de famille qui expliciteraient la contribution de Béatrice Rickards à la poterie du Québec. Joel Lachance a joint ses efforts aux nôtres et a pu contacter Bruce Harling, un petit-fils de Laura Béatrice Rickards Harling. Bruce Harling a, à son tour communiqué avec son cousin Richard Haskell, fils de Pamela Rickards Haskell et petit-fils de Laura Béatrice. Ayant pris connaissance de la première version de l'article sur Béatrice Rickards, Richard Haskell est entré en contact avec moi.

Possédant de nombreux documents de famille, Richard m'a fait part que c'est la mère de Laura Béatrice qui était la potière en cause. Ce fait était connu de plusieurs membres de la famille, incluant Bruce Harling. J'ai retrouvé une annonce du décès de Mme Dudley Rickards, dans la Gazette du 13 mars 1950, qui donne ses prénoms: Béatrice Mary Louise. Richard Haskell fournit d'ailleurs une photo de la pierre tombale qui porte aussi ces prénoms. 

Béatrice Mary Louise Rickards était née à Grafton Ontario; elle est décédée chez une de ses filles Kitty le 12 mars 1950, étant dans sa  90e année. Ses cendres ont été transportées à Calgary et enterrées à coté de son mari Charles Dudley Rickards. Photo Richard Haskell

Béatrice Mary Louise Rickards était née à Grafton Ontario; elle est décédée chez une de ses filles Kitty le 12 mars 1950, étant dans sa 90e année. Ses cendres ont été transportées à Calgary et enterrées à coté de son mari Charles Dudley Rickards. Photo Richard Haskell

Trixie avec sa mère Béatrice Rickards à Vancouver vers 1924. Photo fournie par  Richard Haskell.

Trixie avec sa mère Béatrice Rickards à Vancouver vers 1924. Photo fournie par Richard Haskell.

Charles Dudley Rickards, né en Angleterre,  avait épousé Béatrice Mary Louise Wainwright , la fille du Colonel Wainwright,  en 1894. À son décès survenu à la mi-novembre 1916, le Calgary Herald du 27 novembre 1927 publie une longue notice nécrologique sur lui, relatant son arrivée au Canada en 1872, son travail pour le gouvernement du Dominion et son service militaire lors de la rébellion de Riel. 

Selon Richard Haskell, son arrière-grand-mère Béatrice Rickards a écrit une histoire de famille, présumément dans les années 40, avec 'l'aide ' de R. E. Elliott! Dans la  première page de cette  histoire de famille, Béatrice Rickards écrit: " Eddie agreed to act as secretary as I dictated to him." Cela faisait référence à Eddie Elliott de Saint-Jean, au dire de Trixie .  Y avait-il un lien de parenté entre les deux, ce qui pourrait expliquer  le choix de Béatrice Rickards comme designer chez la Canadian Potteries Limited de Saint-Jean? Cette dernière tournait des pièces  dans le sous-sol de la maison de  sa fille Laura Béatrice (Trixie) et Norman Harling, rue Roslyn, Westmount ou elle habitait  vers 1941-48. 

Le point qui reste en suspend est la date exacte de sa production pour la Canadian Potteries Ltd, la période 1931-33 semblant bien hâtive. En fait la première mention trouvée de Béatrice Rickards comme habitant à Montréal date de 1936 (voir The Gazette du 6 avril 1936)...Voici des pièces de sa production faites pour l'usine de Saint-Jean, en possession de Richard Haskell et de Bruce Harling.

Deux splendides bacs à fleur au héron produits par Béatrice Rickards, 11 x 13 x 13 cm. Collection et photo Richard Haskell.

Deux splendides bacs à fleur au héron produits par Béatrice Rickards, 11 x 13 x 13 cm. Collection et photo Richard Haskell.

Magnifique vase à fleur de Béatrice Rickards, 21 cm de haut . Il porte la marque Vitrian de la Canadian Potteries Limited. Collection et photo Richard Haskell

Magnifique vase à fleur de Béatrice Rickards, 21 cm de haut . Il porte la marque Vitrian de la Canadian Potteries Limited. Collection et photo Richard Haskell

Ravissant vase au motif floral, fait par Béatrice Rickards. Il a  33 cm  de haut et a pu  servir de  porte-parapluie à l'occasion.  Collection et photo Bruce Harling.

Ravissant vase au motif floral, fait par Béatrice Rickards. Il a 33 cm de haut et a pu servir de porte-parapluie à l'occasion. Collection et photo Bruce Harling.

Il est amusant de constater que l’engagement de Mme Rickards, s'il a bien eu lieu vers 1931-33, comme designer de modèles pour la Crane / Canadian Potteries Ltd a créé un précédent. En 1933, à son tour, la Crane / Trenton Potteries Co. engage Mlle Elizabeth Brown de Plainsfield, NJ, diplômée de la célèbre Parsons School of Interior Decoration, pour créer des modèles de vases, bols, pots à fleurs et urnes en 35 couleurs. De ce nombre, 25 couleurs ont un fini luisant et 10 ont un fini mat (The Courier News, 5 décembre 1933). Chade Lage (Pictorial Guide to Pottery and Porcelain Marks, 2004) illustre en page 339 un vase des années 30 qui semble être de cette série. Ces objets seront annoncés sous la marque TEPECO, marque plus fréquemment asociée à leurs produits sanitaires.

Toilette 'Suspendo' de la Trenton Potteries Co, avec la marque TEPECO. Photo tirée d'un catalogue de 1927  de la Thomas Robertson & Co. Ltd de Montréal, p. 118.

Toilette 'Suspendo' de la Trenton Potteries Co, avec la marque TEPECO. Photo tirée d'un catalogue de 1927 de la Thomas Robertson & Co. Ltd de Montréal, p. 118.

Mes remerciements s'adressent en premier lieu  à Joel Lachance, un collectionneur hors pair, doté d'une curiosité insatiable,  qui a repéré  sur Ancestry.com la date  de 1904 pour la naissance de Laura Béatrice Rickards. Il a réussi à retracer Bruce Harling, un petit-fils de Laura Béatrice Rickards Harling pour lui faire connaître ma recherche préliminaire. Merci à Bruce Harling qui a transmis à son tour cet article et mon questionnement  à son cousin Richard Haskell. Je sais gré à Bruce et à Richard de m'avoir fourni des photos de la production de Béatrice Rickards.  Sans l'aide précieuse et les importantes archives familiales de Richard Haskell, cet article révisé n'aurait pas eu la même richesse d'information et la certitude qui en découle quand à  Béatrice Rickards, mère de Laura Béatrice, comme designer de modèles pour l'usine de Saint-Jean.  Mille mercis Richard !

Références

Beaudry Dion, J. et J.-P. Dion : « Pièces Vitrian de la succession Durocher », Céramag 12, hiver 2013-2014, p. 49-50.

Lambart, Helen. Two Centuries of Ceramics in the Richelieu Valley, Ottawa, Musées nationaux du Canada, 1970. Publié aussi en français en1975, sous le titre Deux siècles de céramique dans la vallée du Richelieu.

Fortin, Réal. Poterie et vaisselle de Saint-Jean et Iberville, Saint-Jean, Ed. Mille Roches, 1982.